Ouvertures sur d'autres cultures | DemysTEAfication
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6 février 2012

L'Art de la guerre

"La Voie du samouraï réside dans la mort. Lorsque vient le moment du choix, il n'existe que le choix rapide de la mort." Jôchô Yamamoto, Hagakure, Livre premier.

Le samouraï est versé dans l'art de la mort, c'est-à-dire de donner la mort, mais aussi de la recevoir et de se la donner. Mais le samouraï, du moins celui de rang élevé, est également versé dans l'appréciation des arts, tel que la calligraphie, la poésie, la peinture, ou encore le thé.

Cela se ressent parfois sur l'équipement du guerrier, notamment sur le Katana et en particulier ses montures, où s'exprime l'habilleté de l'artisan, mais où s'expose aussi la personnalité du porteur. Le Tsuba ( la garde du sabre ) est souvent une espace utilisé pour cette expression et il en résulte de multiples formes et motifs, comme sur la pièce appartenant au musée Kiyomizu Sannenzaka à Kyoto, qui présente des accessoires du Chanoyu :


tsuba chanoyu
De gauche à droite : Hishaku ( louche en bambou ), Futaoki ( repose louche ou repose couvercle ), Kama ( bouilloire )

tsuba chanoyu
Ici, on peut voir les Kan ( poignées ) du Kama

Ce tsuba, réalisé par le célèbre Tanaka Kiyotoshi, est enfin une illustration, parmis d'autres, d'un certain raffinement guerrier et de l'influence du thé sur la civilisation japonaise.

4 février 2012

Les changements du Hagi

"Ichi Raku, ni Hagi, san Karatsu" serait une vieille maxime japonaise qui expose une hiérarchie dans le goût du Wabi-sabi : en premier le style Raku, puis le style Hagi et ensuite le style Karatsu ... mais chacun ses goûts, car pour moi, le Hagi est bien mieux que le Raku ...

La ville de Hagi est située en bord de mer, au nord de la préfecture de Yamaguchi, dans la région de Chugoku ( Ouest de Honshu ).

Hagi Yaki

Il y aurait deux style "historiques" dans le Hagi, la couverte blanche et la couverte plus ou moins gris-rose à points. Tout cela aurait été inventé par des potiers Coréens implantés à Hagi au début du XVIIème siècle. Plus récemment, se rajoutent divers "nouveaux" types, comme la couverte bleue ou la couverte "orangée". Mais toutes ont la même particularité, plus ou moins prononcée, celle de porter  une couverte poreuse qui laisse les tanins du thé s'infiltrer jusqu'à l'argile cuite.

Au départ, c'est-à-dire lorsqu'il est neuf, la pièce ressemble à tous les autres types de céramiques à couverte que l'on peux voir ailleurs. A priori, rien d'exceptionnel dans cette couverte blanche, la plus courante ...

Mais dans ce cas, qu'est-ce qui peut bien être si attirant dans ce style de céramiques, pour qu'il soit relativement populaire et que des sites lui soit consacrés, comme celui-ci.

Si l'attrait du Wabi-sabi se fait sentir ici, une autre caractéristique explique également le succès de la céramique de Hagi : ses transformations au fil du temps et des utilisations. Il ne s'agit pas là pourtant d'un trait unique au Hagi, car d'autres styles voient leur aspect se modifier légèrement avec le temps et l'utilisation qui en est faite :

cfoc
Une céramique chinoise avec une couvert de type "Shino", dont j'avais déjà parlé ici.
bol japonais en shino
Un chawan de style Shino gris.
Mais avec le Hagi, tout est exacerbé à l'extrême, ce qui constitue certainement le trait de caractère unique au style ...

Tout commence avec une couverte plus ou moins uniforme, à la texture relativement laiteuse, avec une couleur, pour la couverte blanche, oscillant entre le blanc ivoire et le blanc nuancé de bleu voire de noir, en fonction du mode de cuisson ( en four à gaz moderne ou en four à bois traditionnel ).

Hagi Yaki

Hagi yaki

Du Yunomi au Chawan, une couverte immaculée donc ... qui se couvre de rose dans certaines conditions ...

Hagi yaki

Deishi shibuya

Deishi shibuya

chawan japonais

Deishi shibuya

Puis vient la première utilisation, et les suivantes, qui marquent la céramique d'une façon aléatoire en soulignant les craquelures de la glaçure.

chawan

J'ai bien dit "d'une façon aléatoire", car les craquelures sont naturelles et se forment après la cuisson de la pièce, lors de son refroidissement. Dès lors, chaque pièce aura ses propres craquelures, uniques comme une empreinte digitale, car issues de combinaisons issues du "hasard". Les tanins s'insinuent ensuite entre ces craquelures, qui s'en trouvent alors soulignées.

bol a thé blanc

Deishi shibuya

cérémonie du thé

A noter que de nouvelles craquelures peuvent se former bien longtemps après la cuisson, après les premières utilisations, en particulier avec les couvertes très épaisses : il y a maintenant quelques années ( euh, au moins six ou sept ans, il me semble ), j'ai acheté, auprès de Magokorodo. Je buvais à l'époque uniquement du thé vert japonais dont beaucoup de matcha. Je pense que je devais être lassé de préparer et de boire mon matcha dans un bol à chocolat aux couleurs flashy et je me suis donc porté acquéreur d'un bol type "été" assez évasé et peu profond, à la couverte blanche relativement épaisse. Après avoir utilisé mon nouvel instrument, je le rinçais à l'eau tiède et le mettais à sécher sur un égoutteur de bois. Au fur et à mesure que le bol séchait, quelle ne fut pas ma surprise d'entendre des "tinc - tinc" plus ou moins bruyants. la réaction de surprise passée ( mais si, vous savez de quoi je parle, celle où l'on se dit "M...., j'ai dû faire une C......." ), j'ai constaté que des craquelures s'étaient formées. Comme le phénomène continua pendant les trois à quatre utilisations suivantes, de rapides recherches et questions à droite à gauche m'apprirent que cela était naturel ( et c'est là que mon intérêt pour le Hagi se fit jour ).

Mais les transformations subies par la pièce de céramique ne s'arrêtent pas là. En effet, les tanins imprègnent peu à peu le coeur et finissent par "traverser" pour souligner les craquelures présentes également à l'extérieur de la pièce.

chanoyu

Par la suite, les tanins s'infiltrant ( et s'oxydant ) encore dans la couverte et dans l'argile cuite, modifient peu à peu la couleur même de la couverte.

Deishi shibuya
Éclairage direct
Deishi shibuya
Le même Yunomi, avec un éclairage latéral
Chaque pièce réagit différemment, même issues des mains du même potier. C'est ici que la collection, au sens scientifique du terme, peut être de quelque secours à démêler le vrai du faux. On pourrait en effet penser que tout est fonction, avant tout, de la terre utilisée :

Deishi shibuya
A gauche, une terre très fine et assez rouge ( car elle contient plus de fer ? ), à droite, une terre plus grossière, plus "jaune", avec de "petits cailloux" ( Feldspath ? Silice ? ).
coupes a sake
A gauche, les craquelures intérieures sont faiblement soulignées, signe d'une faible infiltration des tanins, à droite, c'est le contraire, signe d'une plus forte infiltration des tanins.
Deishi shibuya
A gauche, pas ou peu de craquelures soulignées à l'extérieur, à droite, les craquelures sont soulignées.
On pourrait conclure que la terre joue donc un rôle essentiel dans l'infiltration des tanins, mais d'autres pièces questionnent cette conclusion :

yunomi

yamane seigan

yamane seigan

Ici, la terre utilisée est également extrêmement raffinée, mais le nombre de craquelures est littéralement immense. Je formule donc l'hypothèse que les tanins s'infiltrent en partie en fonction de la cuisson de la pièce. Avec une cuisson de type terre cuite ( 800°C à 1200°C ) la pâte est plus poreuse, et avec un cuisson de type grès ( 1250°C à 1300°C ), la pâte est plus dure ( les anglophone appellent d'ailleurs le grès "Stoneware" qui, littéralement, traduit signifie "bien en pierre" ) et donc moins poreuse.

Certaines terres cuites mettent cependant du temps à absorber les tanins, comme avec ce Yunomi de Yamane Seigan, dont les craquelures n'ont commencé à se souligner qu'au bout d'un an d'usage fréquent.

yamane seigan

Je formule donc ma seconde hypothèse, à savoir que la dureté de la couverte ( donc son degré de vitrification ) joue aussi un rôle dans la pénétration des tanins et que le résultat sur les craquelures est issu de la "combinaison" du potentiel de la terre et de la couverte à plus ou moins freiner la pénétration des tanins aux coeur de la pièce.

28 janvier 2012

Kyoyaki ou le style de Kyoto


kyoto

Le terme Kyoyaki est un terme général, qui désigne toutes les céramiques et les porcelaines produites à Kyoto, en particulier autour du temple de Kyomizu et dont le décor est constitué par une peinture en émail posée par-dessus la glaçure qui recouvre la pièce. Les céramiques de Kyoto qui ne contiennent pas de Kaolin ( qui donne la porcelaine ) sont des grès, donc cuits à haute température. Elles ne sont pas montées à la main, mais montées au tour, ce qui leur donne des formes parfaitement régulières. De plus, leurs bords sont assez fins.

navet sur ceramique

L'origine des céramiques dans le style de Kyoto remonte au milieu du 17ème siècle et est marqué à ses débuts par les oeuvres de Ninsei Nonomura ( 1574 à 1598 - 1660 à 1666 ) puis par celles de Kenzan Ogata ( 1663 - 1743 ). Il s'agit de deux maîtres, que l'on peux considérer comme les fondateurs du style Kyoyaki. Ce style connaitra encore un grand maître à l'ère Edo, avec les oeuvres de Aoki Mokubei ( 1767 - 1833 ). Ces trois potiers sont les trois grands maîtres du style.

bol à thé japonais

Le style de Kyoto est, dans son esprit, à l'opposé du wabi-sabi ( sobriété et beauté des choses imparfaites ). Il s'agit de pièces aux contours parfaits, extrêmement rafinées. Les décors à l'émail étant posés par-dessus une couverte de base, cela crée un léger effet de relief . On notera également que les techniques de décoration utilisées sont directement empruntées aux laqueurs. Il est d'ailleurs dit que Ninsei Nonomura aurait requis les services de laqueurs pour décorer les pièces qu'il avait tournées. On parle donc de Kirei-sabi ( beauté rafinée ) pour qualifier ces céramiques au décor parfois très chargé mais toujours soigneusement pensé et exécuté. Le Kyoyaki enfin, du fait de sa particularité qui réside dans son décor, n'est pas resté un style figé et a su englober des motifs contemporains, modernes ou encore humoristiques, mais toujours avec un parfait soin dans leur exécution.

chawan coq et poule

16 janvier 2012

Chashaku : un monde infini

Le terme de chashaku désigne la cuillère utilisée pour doser le matcha. Comme toujours, tout serait simple si nous nous arrêtions là, mais c’est ici que se fait remarquer la multiplicité des formes et des matières et ses significations.

En premier lieu, on peut retenir trois dénominations ou " types " :
  • Shin chashaku
  • Gyo chashaku
  • So chashaku
Pour le type shin, on peut utiliser de l'ivoire, de l'écaille de tortue ou  du bambou, mais sans noeud. Pour le type gyo, on n'utilise que du bambou, avec le noeud placé à la fin du manche. Enfin, le type so chashaku, on peut utiliser une application de laque, du bois brut ou du bambou, mais avec le noeud au milieu du manche.

Pour compliquer encore les choses, chaque type à sa " valeur ", suivant le sens que l'on veut donner à la séance de thé ou suivant les relations entre l'hôte et le ou les invités :
  • Shin : séance formelle
  • Gyo : séance semi formelle
  • So : séance informelle
A partir de là, chaque chashaku peut être la combinaison de multiples formes lors de la procédure de taille : longueur, utilisation des stries naturelles du bambou ou non, forme donnée au bout servant de cuillère, forme donnée au bout servant de manche, forme de taille de la fin du manche ( allant, pour faire vraiment court, de l'arrondi au rectangle ) avec ou sans biseautage, ...

Mais ce n'est pas fini ... vient encore la couleur donnée au bambou, qui multiplie encore les combinaisons possibles, mais en images cette fois-ci, qui parlent d'ailleurs d'elles-mêmes :

Susudake :

Susudake chashaku
Avant foncé

dos de chashaku
Arrière clair
  Shirodake :

chashaku
Avant clair

dos de chashaku
Arrière clair
 Shi mi dake :

chashaku
Avant foncé tirant vers le clair

dos de chashaku
Arrière foncé ou " caramel "
Comme vous l'avez sûrement remarqué par ailleurs, ces trois modèles sont du type So chashaku, du fait de la position du noeud du bambou au milieu du manche.

Arrivé ici, il est simple de constater les multiplicités de formes de ce qui n'est au premier abord qu'une cuillère à doser le matcha ...

... mais c'est ici que tout se complique avec l'arrivée du décor en laque, puits sans fond, porte ouverte sur l'imagination des créateurs ... et ce qui suit n'en est même pas un aperçu, les couleurs de laque utilisées étant nombreuses, tout comme les motifs et leurs emplacements :

ornementation à la laque sur cuillères à matcha

cuillère à matcha

cuillère à matcha

chashaku

23 décembre 2011

Tomobako : la boîte qui accompagne la pièce de céramique

Encore un terme exotique pour désigner une chose toute simple, sans importance ... pas vraiment, car cette boite relativement simple en apparence, ne l'est qu'en apparence ...

Le bois utilisé est presque toujours du Paulownia, bien que d'autres bois soit plus rarement utilisés pour les tomobako. Le terme japonais exact pour ce bois est Kiri, qui désigne la variété Paulownia Tomentosa. Ce bois est relativement léger est possède la capacité d'absorber l'humidité, d'où son utilisation pour protéger les céramiques et d'autres objets des éléments naturels ou autres intempéries.

Les modèles les plus simples n'ont qu'un couvercle :

Tomobako deishi eiichi

qui tient en place par deux barres parallèles bien ajustées contre les montants du tomobako :

Tomobako deishi eiichi


Mais le tomobako est parfois un objet extrêmement travaillé, au sens où un grand effort est mis dans sa manufacturation :

Le couvercle est maintenu par quatre pans de bois ajustés au millimètre près :


bizen


bizen

ce qui nécessite un artifice supplémentaire pour faire passer ce même ruban :

bizen

tomobako bizen

Enfin, en plus de la colle qui fixe les montants du tomobako, il arrive que des clous en bois plus dur soient rajoutés :

clous en bambou

On pourra encore rajouter qu'il y a un sens dans lequel poser le couvercle, visible par les veines du bois qui forment un carré ou un rectangle sur deux des côtés et qui s'alignent avec le corps sur les deux autres côtés :


tomobako pauwlonia

bois de pauwlonia

Tout cela fini donc par faire beaucoup pour une simple boîte, et le tomobako peut être considéré comme une pièce élaborée d'artisanat à elle seule. Le tomobako s'inscrit dans une tradition japonaise qui fait de l'emballage un élément aussi important que le contenu.

Pour finir, le tomobako est souvent calligraphié, décrivant son contenu et portant la marque du potier, signature et sceau. Le tout est parfois protégé du soleil par une feuille de papier. Il est donc important de garder le tomobako pour conserver de précieuses informations. Cependant, il ne saurait à lui seul être une source de renseignement infaillible, surtout si l'on n'est pas certain que la pièce contenue correspond d'origine au contenant. ce dernier cas doit certainement arriver plus souvent qu'on ne le pense, car la présence d'un tomobako peut augmenter le prix de vente d'une pièce "ancienne" et son absence le diminuer.