Les changements du Hagi | DemysTEAfication

4 février 2012

Les changements du Hagi

"Ichi Raku, ni Hagi, san Karatsu" serait une vieille maxime japonaise qui expose une hiérarchie dans le goût du Wabi-sabi : en premier le style Raku, puis le style Hagi et ensuite le style Karatsu ... mais chacun ses goûts, car pour moi, le Hagi est bien mieux que le Raku ...

La ville de Hagi est située en bord de mer, au nord de la préfecture de Yamaguchi, dans la région de Chugoku ( Ouest de Honshu ).

Hagi Yaki

Il y aurait deux style "historiques" dans le Hagi, la couverte blanche et la couverte plus ou moins gris-rose à points. Tout cela aurait été inventé par des potiers Coréens implantés à Hagi au début du XVIIème siècle. Plus récemment, se rajoutent divers "nouveaux" types, comme la couverte bleue ou la couverte "orangée". Mais toutes ont la même particularité, plus ou moins prononcée, celle de porter  une couverte poreuse qui laisse les tanins du thé s'infiltrer jusqu'à l'argile cuite.

Au départ, c'est-à-dire lorsqu'il est neuf, la pièce ressemble à tous les autres types de céramiques à couverte que l'on peux voir ailleurs. A priori, rien d'exceptionnel dans cette couverte blanche, la plus courante ...

Mais dans ce cas, qu'est-ce qui peut bien être si attirant dans ce style de céramiques, pour qu'il soit relativement populaire et que des sites lui soit consacrés, comme celui-ci.

Si l'attrait du Wabi-sabi se fait sentir ici, une autre caractéristique explique également le succès de la céramique de Hagi : ses transformations au fil du temps et des utilisations. Il ne s'agit pas là pourtant d'un trait unique au Hagi, car d'autres styles voient leur aspect se modifier légèrement avec le temps et l'utilisation qui en est faite :

cfoc
Une céramique chinoise avec une couvert de type "Shino", dont j'avais déjà parlé ici.
bol japonais en shino
Un chawan de style Shino gris.
Mais avec le Hagi, tout est exacerbé à l'extrême, ce qui constitue certainement le trait de caractère unique au style ...

Tout commence avec une couverte plus ou moins uniforme, à la texture relativement laiteuse, avec une couleur, pour la couverte blanche, oscillant entre le blanc ivoire et le blanc nuancé de bleu voire de noir, en fonction du mode de cuisson ( en four à gaz moderne ou en four à bois traditionnel ).

Hagi Yaki

Hagi yaki

Du Yunomi au Chawan, une couverte immaculée donc ... qui se couvre de rose dans certaines conditions ...

Hagi yaki

Deishi shibuya

Deishi shibuya

chawan japonais

Deishi shibuya

Puis vient la première utilisation, et les suivantes, qui marquent la céramique d'une façon aléatoire en soulignant les craquelures de la glaçure.

chawan

J'ai bien dit "d'une façon aléatoire", car les craquelures sont naturelles et se forment après la cuisson de la pièce, lors de son refroidissement. Dès lors, chaque pièce aura ses propres craquelures, uniques comme une empreinte digitale, car issues de combinaisons issues du "hasard". Les tanins s'insinuent ensuite entre ces craquelures, qui s'en trouvent alors soulignées.

bol a thé blanc

Deishi shibuya

cérémonie du thé

A noter que de nouvelles craquelures peuvent se former bien longtemps après la cuisson, après les premières utilisations, en particulier avec les couvertes très épaisses : il y a maintenant quelques années ( euh, au moins six ou sept ans, il me semble ), j'ai acheté, auprès de Magokorodo. Je buvais à l'époque uniquement du thé vert japonais dont beaucoup de matcha. Je pense que je devais être lassé de préparer et de boire mon matcha dans un bol à chocolat aux couleurs flashy et je me suis donc porté acquéreur d'un bol type "été" assez évasé et peu profond, à la couverte blanche relativement épaisse. Après avoir utilisé mon nouvel instrument, je le rinçais à l'eau tiède et le mettais à sécher sur un égoutteur de bois. Au fur et à mesure que le bol séchait, quelle ne fut pas ma surprise d'entendre des "tinc - tinc" plus ou moins bruyants. la réaction de surprise passée ( mais si, vous savez de quoi je parle, celle où l'on se dit "M...., j'ai dû faire une C......." ), j'ai constaté que des craquelures s'étaient formées. Comme le phénomène continua pendant les trois à quatre utilisations suivantes, de rapides recherches et questions à droite à gauche m'apprirent que cela était naturel ( et c'est là que mon intérêt pour le Hagi se fit jour ).

Mais les transformations subies par la pièce de céramique ne s'arrêtent pas là. En effet, les tanins imprègnent peu à peu le coeur et finissent par "traverser" pour souligner les craquelures présentes également à l'extérieur de la pièce.

chanoyu

Par la suite, les tanins s'infiltrant ( et s'oxydant ) encore dans la couverte et dans l'argile cuite, modifient peu à peu la couleur même de la couverte.

Deishi shibuya
Éclairage direct
Deishi shibuya
Le même Yunomi, avec un éclairage latéral
Chaque pièce réagit différemment, même issues des mains du même potier. C'est ici que la collection, au sens scientifique du terme, peut être de quelque secours à démêler le vrai du faux. On pourrait en effet penser que tout est fonction, avant tout, de la terre utilisée :

Deishi shibuya
A gauche, une terre très fine et assez rouge ( car elle contient plus de fer ? ), à droite, une terre plus grossière, plus "jaune", avec de "petits cailloux" ( Feldspath ? Silice ? ).
coupes a sake
A gauche, les craquelures intérieures sont faiblement soulignées, signe d'une faible infiltration des tanins, à droite, c'est le contraire, signe d'une plus forte infiltration des tanins.
Deishi shibuya
A gauche, pas ou peu de craquelures soulignées à l'extérieur, à droite, les craquelures sont soulignées.
On pourrait conclure que la terre joue donc un rôle essentiel dans l'infiltration des tanins, mais d'autres pièces questionnent cette conclusion :

yunomi

yamane seigan

yamane seigan

Ici, la terre utilisée est également extrêmement raffinée, mais le nombre de craquelures est littéralement immense. Je formule donc l'hypothèse que les tanins s'infiltrent en partie en fonction de la cuisson de la pièce. Avec une cuisson de type terre cuite ( 800°C à 1200°C ) la pâte est plus poreuse, et avec un cuisson de type grès ( 1250°C à 1300°C ), la pâte est plus dure ( les anglophone appellent d'ailleurs le grès "Stoneware" qui, littéralement, traduit signifie "bien en pierre" ) et donc moins poreuse.

Certaines terres cuites mettent cependant du temps à absorber les tanins, comme avec ce Yunomi de Yamane Seigan, dont les craquelures n'ont commencé à se souligner qu'au bout d'un an d'usage fréquent.

yamane seigan

Je formule donc ma seconde hypothèse, à savoir que la dureté de la couverte ( donc son degré de vitrification ) joue aussi un rôle dans la pénétration des tanins et que le résultat sur les craquelures est issu de la "combinaison" du potentiel de la terre et de la couverte à plus ou moins freiner la pénétration des tanins aux coeur de la pièce.

4 commentaires:

lionel a dit…

Super article !
Génial de voir que la tasse se culotte comme la théière au fil des infusions.
Mon Yunomi style 'gohonde' de Mukuhara Kashun a les craquelures intérieures nettement marquées. Tandis que l'autre, à couverte blanc laiteux, moins utilisé (8 mois) reste encore assez neutre.
Tu utilises tes tasses à rythme élevé ?

Anonyme a dit…

Cette article vient aiguiser ma curiosité sur ces poteries que je ne connaissais pas.

ça a l'air vraiment intéressant.

lionel a dit…

Tu as des pièces style Karatsu ?

Tsubo a dit…

J'utilise mes tasses tous les jours, suivant "l'inspiration" du moment. Je délaisse parfois certaines pendant un long moment pour ensuite les utiliser tous les jours pendant une période plus ou moins longue ... il n'y a pas de règle.

Pour le style Karatsu, j'ai un chawan de couleur verte ( "type" Ao Karatsu ) et un Chaire de "type" e-Garatsu, mais il y a beaucoup de "types" à l'intérieur même du style Karatsu. Le plus simple, pour se faire une bonne idée de ce style est de jeter un coup d'oeil sur le site de Robert Yellin :

http://www.e-yakimono.net/guide/html/karatsu.html

ainsi que sur les pages connexes pour plus de photos.

Pour ma part, je ne suis pas très fan de ce style, car il part un peu dans tous les sens, et certaines pièces ressemblent même désormais à s'y méprendre à des Raku noirs, la seule façon de faire la différence étant de bien observer la couverte qui est un tout petit peu plus brillante, tandis que le Raku tire plus vers les mats ( et encore, ce n'est pas tout à fait exact, car cela n'est pas une règle absolue ... ) - inutile de dire que cela doit faire le bonheur de vendeurs peu scrupuleux sur ceratins sites d'enchères en ligne ...