Pour les ustensiles au cœur de la cérémonie du Chanoyu, on trouve ainsi sans problème de nombreux ouvrages recensant les objets les plus anciens et les plus célèbres, et cela pour chaque ustensile sauf pour le Chasen. Pour une bonne et simple raison, à l'origine, le Chasen n'est pas destiné à resservir, c'est un consommable à usage unique qui ne sert donc qu'à une seule cérémonie du thé.
Ce n'en est pas moins un objet que l'on traite avec déférence et qui ne peut être fabriqué que par des artisans habilles et maîtres de leur art, ce dernier ne consistant pas au simple savoir-faire du maniement du couteau qui va permettre de tailler l'objet, mais qui commence à la sélection et à la préparation même du médium qui sera utilisé, à savoir le bambou.
Le premier geste consiste en effet à choisir un bambou d'une qualité suffisante, puis à préparer se bambou, c'est-à-dire à le laisser sécher suffisamment longtemps, et ce, de façon entièrement naturelle. On taille ensuite le bambou pour n'en conserver qu'une partie infime, la couche extérieure dure, le cœur du bambou, servant à la circulation de la sève, étant éliminé. Ainsi, la partie extérieure du bambou, très dure et très souple, est conservée, tandis que la partie interne de la paroi du bambou, qui est plus tendre mais plus rigide et qui casse plus facilement en cas de flexion est, elle, éliminée du moins en ce qui concerne la partie qui va servir à former les brins ...
Pour les brins, on ne garde donc que la partie en vert sur la photographie ci-dessus, la parois entière du bambou étant par contre conservée pour la partie qui va servir à former le manche du Chasen. Ceci implique que le séchage soit fait à cœur, sinon la partie extérieure risque de craquer et cela signifie aussi que le séchage ait été réalisé progressivement, sinon c'est la partie interne qui va se fendre, entrainant également le fendage de la partie extérieure, à sa suite.
Si la dextérité de l'artisan qui va façonner les brins est importante, c'est aussi la qualité du bambou et la qualité du séchage séchage qui va faire qu'un Chasen va fendre plus ou moins vite. Cela est dû au fait que le façonnage des brins fragilise le corps du Chasen, créant comme des lignes de faille qui ne demandent qu'à se prolonger et à s'agrandir lorsque le séchage n'est pas parfait.
Une ligne créée par le couteau de l'artisan, s'il elle rencontre une prédisposition proche ou dans son prolongement va donc créer au final une fente dans le manche du Chasen, cette fente n'étant pas forcément strictement linéaire ou commençant pour finalement ne pas s'élargir plus avant, comme on peut en voir des illustrations sur les photographies ci-dessus et ci-dessous.
Le bambou parfaitement séché sera plus résistant face à ces tensions qui résultent du processus de fabrication et n'offrira pas de faille à exploiter à ces tensions. Le bambou parfaitement séché nécessite un processus de dessiccation naturelle contrôlé et long, ce qui a un coût. Les nombreux Chasen à bas prix que l'on trouve un peu partout, notamment ceux fabriqués en Chine sont généralement accompagnés de petits sachets de gel de silice du fait que le processus de dessiccation a été accéléré artificiellement et que le bambou ainsi traité n'offre pas la même résistance ... voici donc un premier signe qui permet d'éliminer un Chasen ... mais n'oublions pas que le sachet peut être rapidement enlevé de son emballage ...
Or donc comment déterminer quel Chasen sera plus résistant que l'autre et aura une durée de vie supérieure lorsque l'on ne peut, la plupart du temps pas le toucher car l'achat se fait via internet ... grâce à quelques petites astuces très simples ...
Nous laisserons ici de côté la forme du Chasen, Kazuho, Shin Kazuho, Rikyu, Kankyu-An, Yabunouchi-Ryu, Sekishu-Ryu, Enshu-Ryu, Uraku-Ryu, Souwa-Ryu, Souhen-Ryu, Tenmokudate, Chu-Araho, Nodate, Chabako, Hana, ..., la liste de noms est presque sans fin, ou du moins pas loin de la centaine, et les formes parfois très proches avec une variante que l'on pourrait considérer comme minime, comme la couleur de la ficelle qui sert à séparer les brins.
Nous laisserons également de côté la question du nombre de brins, qui dépend
avant tout du type de préparation que l'on escompte faire, les Chasen à brins
peu nombreux étant d'abord destinés au Koicha, car plus larges et donc plus solides, et les Chasen à brins plus nombreux
étant théoriquement destinés à l'Usucha, car plus fins et donc plus fragiles.
Nous laisserons enfin de côté la couleur du bambou utilisé, Kuro-take, Susudake, Awatake ou Aodake, qui dépend de l'école de Chanoyu qui va employer le Chasen et le cas échéant, de la période de l'année ...
Comme il existe tout de même bon nombre de facteurs de Chasen au Japon, il peut donc être intéressant de se tourner vers les produits réalisés par un artisan sélectionné par le
Kougeihin ou Association pour la promotion de l'artisanat traditionnel, qui sélectionne les artisans autorisés à porter leur label après un examen d'entrée et des contrôles pour s'assurer du respect d'un cahier des charges établi pour chaque type de produit.
Le but de cette association est de maintenir vivant l'artisanat japonais en aidant à sa promotion, mais aussi de continuer à faire vivre les techniques ancestrales. Pour ce faire, l'artisan sélectionné doit non seulement utiliser et respecter les anciennes techniques de fabrication, mais il doit également prendre un certain nombre d'apprentis afin de permettre la transmission de ces techniques. Ainsi, les produits pourvus de ce label sont généralement dans le "haut du panier" et de qualité.
L'absence de ce label ne signifie pas pour autant que le produit n'est
pas de qualité, bon nombre de petites structures, voire d'artisans
travaillant seuls ou se transmettant leur savoir de génération en
génération, n'ayant pas les moyens de former des apprentis et ne pouvant
de ce fait prétendre à être sélectionnés par le Kougeihin.
Le premier signe pour sélectionner un Chasen de qualité, c'est-à-dire qui offrira la tenue la plus durable dans le temps, c'est son emballage. En effet, les Chasen commercialisés dans un carton sont généralement de meilleur qualité que les Chasen vendus en boite plastique, tout d'abord parce que le carton permet une meilleure régulation hygrométrique, ensuite parce qu'un emballage carton représente un coût supplémentaire pour un fabricant. Les emballages plastiques étant nettement moins onéreux, on va donc y retrouver les Chasen produits en masse et à bas coût en Chine et ceux destinés à une utilisation courante.
Un Chasen en boite carton nécessite également un peu plus de manutention, ce qui constitue là encore un coût supplémentaire. Pour la mise sous boite plastique, on place le Chasen sur une rondelle-support de carton, on glisse ensuite le tout dans la boite. Pour la boite carton, il faut légèrement coller le pied du Chasen et le placer de façon à ce qu'il n'entre pas en contact avec les bords de la boite.
Un dernier élément qui peut permettre de cerner la qualité du Chasen contenu dans une boite en carton est la boite en carton elle-même, car entre le Chasen contenu dans la boite de gauche ci-dessous, où la marque de l'artisan est imprimée sur un fin papier qui est ensuite collé à la main, le type de Chasen étant ensuite lui aussi écrit à la main sur la boite et le Chasen contenu dans la boite de droite, entièrement imprimée, il y a un monde d'attentions et de sélection.
Après avoir épuisé bon nombre de Chasen, le constat est toujours le
même, à savoir que même pour les productions labellisées, la tenue des
Chasen commercialisés en boite carton est de loin supérieure et
l'investissement supplémentaire que cela peut représenter sera vite
amorti.
Un autre trait de sélection d'un Chasen tient à la manufacturation de ses brins. D'une manière générale, les brins recourbés de "type" Kazuho sont plus fragiles que les types Shin, destinés à une utilisation plus formelle, aux brins droits, les brins étant plus affinés pour pouvoir former la boucle.
Cela peut paraitre dommage car les Chasen pourvu de cette boucle son de prime abord plus jolis ? Oui et non, car ces boucles disparaissant après le premier ou le deuxième usage, mieux vaut ne pas trop s'y attacher ... impermanence des choses ...
L'emploi du Chasen, c'est-à-dire le geste réalisé par celui qui le tient, est également important, la propension à écraser le Chasen au fond du bol multipliant les chances de casser un brin ou plus exactement le sommet d'un brin.
Le dernier conseil, souvent sous-estimé, est utile pour garder le plus longtemps possible un Chasen. Après emploi, il convient ainsi de le rincer sous l'eau, brins tournés vers le bas, de le secouer légèrement, toujours tourné vers le bas pour éliminer l'excédent d'eau qui resterait présent sur les brins et pour finir, de le placer sur un ustensile destiné à le faire sécher en gardant sa forme, le Kusenaoshi, Kuse naoshi ou naoshi, parfois en bois, mais le plus souvent en céramique ou plus précisément en porcelaine. La couleur et la matière importe peu, le but de cet accessoire étant de tenir le Chasen vers le bas.
Un fois bien sec, c'est-à-dire après au moins une journée passée sur le Kusenaoshi, on pourra replacer sans aucun problème le Chasen dans sa boite d'origine, qu'elle soit en plastique ou en carton, en prenant soin de laisser la boite en plastique ouverte encore un ou deux jours pour pouvoir la refermer sans souci.
Dernier conseil s'il en est, je dirais qu'il ne faut pas se limiter à l'achat d'un seul Chasen, mais qu'il faut au moins en acquérir deux si on a l'intention de se mettre "sérieusement" à la dégustation de Matcha, pour permettre une certaine rotation des ustensiles lors de leur emploi afin que ceux-ci aient le temps de sécher correctement. Cela prolongera leur durée de vie et ce sera l'occasion, le cas échéant, d'acheter deux Chasen de types différents.